La mairie a invité la population de Pamiers le mardi 18 avril salle Espalioux à une réunion publique sur l’ancien hôpital. J’ai pensé : enfin une réunion pour échanger sur le devenir de ce bien ; une fois n’est pas coutume pour cette équipe, qui agit dans l’ombre, sans consulter les habitants de cette ville ni même les élus d’opposition.
Je m’y suis rendue par curiosité puisque je n’ai jamais eu l’occasion d’entendre Mme la maire et son équipe s’exprimer publiquement sur les projets urbains de Pamiers et de leurs impacts sur ses habitants. Déjà, mauvais signe, j’ai trouvé à l’entrée de la salle des flyers de promotion immobilière annonçant la création de 114 appartements dans la résidence senior.
Une partie de l’équipe municipale était là autour de Mme la maire, Mrs Cid, Rochet, Fauré, l’architecte du projet, l’architecte des Bâtiments de France Mme Marquès, le gériatre du CHIVA M. Bories, et un représentant d’Eiffage.
Mme la Maire prend la parole et justifie ce projet de résidence seniors pour attirer « les riches » vivant en Ariège, pour promouvoir une mixité sociale par le haut dans un quartier entouré de 2 quartiers en Politique de la ville – entendez des « quartiers pauvres » – et permettre de diversifier l’offre de prise en charge des « seniors non dépendants, en bonne santé », entre le domicile et l’EHPAD ; tout ceci « dans l’intérêt général », pour « favoriser l’intergénérationnel », « plutôt en centre-ville qu’à l’extérieur de la ville »… beaucoup de bonnes intentions mêlant autant des éléments de langage que des considérations sur la mixité sociale.
Un autre aspect mis en avant est de dynamiser le centre ville par l’arrivée de cette population de plus de 65 ans, près de rues commerçantes dont Mme la maire oublie de préciser que certains n’existent plus (la boulangerie rue Loumet par ex.).
On apprend qu’Eiffage va investir 20 millions d’euros pour la transformation du bâtiment acheté 300 000 € à la Ville comme annoncé par voie de presse. Projet mené dans le plus grand secret, sans informer les élus minoritaires, ce qu’ils ont contesté, ni même consulter les plus concernés, les habitants de cette ville, seniors ou pas, riches ou pauvres.
Cette construction sera évidemment « éco-responsable », « favorisera les mobilités douces », pour « une ville vivante » ; car bien sûr la valeur c’est les habitants ! oui mais riches et en bonne santé !
Le médecin gériatre du CHIVA, aussi élu de Foix, est là pour soutenir le projet, expliquer le bien-fondé de ce type de résidence pour stimuler le plus possible les aînés. Il témoigne de sa pratique quotidienne, il est là pour convaincre : c’est ça l’avenir et d’ailleurs l’Ariège est inscrite dans le projet ICOPE, piloté par le gérontopôle de Toulouse. Dommage qu’aucun des 2 professionnels n’ait évoqué la pénurie de médecins sur Pamiers que subissent les appaméens notamment les résidents de l’EHPAD du Bariol
Puis l’architecte nous présente les logements (T1, T2, T3), leur surface, leur aménagement, les jardins, la perspective sur le canal, la création d’une rue piétonne entre la crèche et le conservatoire municipal actuel, tout cela sur 7000 m2… Et remercie Pamiers d’avoir aménagé un espace bien dégagé sur le devant (sic).
L’architecte des Bâtiments de France, Mme Marquès, vient à la rescousse du projet, contre des détracteurs qu’elle sait disséminés dans le public : seul le fronton, le grand escalier seront conservés. Elle explique pourquoi il n’y a pas d’opposition des Bâtiments de France à la démolition du grand hôpital : pour appuyer son propos, elle présente des diapos du bâtiment au début du 20e siècle et tel qu’il est aujourd’hui, une aile en moins, un toit terrasse en plus etc., le bâtiment n’est plus celui d’origine, il a été modifié plusieurs fois. Mais rassurons-nous pas de traitement de faveur avec les autres propriétaires, il n’est pas question d’y poser des panneaux photovoltaïques !
M. Fauré, élu à l’urbanisme intervient pour affirmer qu’Eiffage était l’investisseur le plus approprié, ok… mais qui étaient les autres, quelles étaient les conditions de la municipalité ? Tout cela reste encore bien opaque.
Puis, vient le tour de M. Leclair, futur gestionnaire du projet, de s’exprimer sur la philosophie de la démarche, lui le cofondateur des résidences seniors GINKGOS, dont les premières ont été créées en Vendée. Il faut retenir que ce sont des résidences pour des seniors « au-to-no-mes ». Il explique le fonctionnement de ses résidences : des logements individuels et des espaces partagés, un restaurant payant – it’s not all inclusive -, une piscine pour les résidents et leurs petits-enfants, ouverture sur l’extérieur par des expositions. Pourquoi a-t-il été choisi ? Il y avait un cahier des charges de la municipalité ?
Une responsable du projet tente une explication sur le montage locatif. On comprend qu’ils seront accessibles à la location et l’on nous donne les tarifs, « c’est une sous-location aux seniors, des tarifs accessibles au plus grand nombre » (pour info de 950 à 1150 € pour un T1 de 35 m2 … mais rappelez-vous c’est pour les riches de l’Ariège !).
Enfin vient le temps des questions de l’assemblée, je passe les questions pratiques, les témoignages sur les bienfaits de résidences seniors sur les capacités cognitives des anciens.
On rentre dans les questions de fond sur le bien-fondé d’un tel projet dans un bâtiment patrimonial.
Mme Fine, présidente de la Société historique questionne sur le choix d’Eiffage de démolir le bâtiment plutôt que de conserver ce bâtiment remarquable, qui est inscrit dans le paysage et la mémoire de nombreux appaméens, notamment des anciens.
Mme Marquès, l’ABF, revient sur les modifications du bâti d’origine qui en ont dénaturé la qualité. Il est question de l’AVAP, ça devient très technique ! Comment comprendre ? le bâtiment était classé « site remarquable » juste avant ce projet, c’est-à-dire qu’il ne pouvait ni être détruit ni modifié sauf avis motivé.
Je m’interroge sur cette explication… ce raisonnement peut-il justifier la démolition d’un bâtiment : une église par exemple qui a subi au fil du temps des dégradations, des destructions et des reconstructions dans des styles différents ? on peut la démolir ? Dans d’autres villes, on conserve bien et rénove aussi les bâtiments industriels, les gares …etc. comme lieu de mémoire ouvrière et architecturale.
La démolition est souvent présentée comme la solution la plus intéressante économiquement mais l’est-elle écologiquement ? Faire table rase semble plus facile pour les architectes plutôt que composer avec l’existant et produire des œuvres originales et économes en déchets. Aujourd’hui est-ce vraiment raisonnable de produire encore et encore du béton très énergivore?
Mme Caumartin interroge sur la manière dont le bâtiment sera éco-responsable ? Réponse : il sera chauffé par des pompes à chaleur. C’est un peu léger comme projet éco-responsable…
Mais voilà une question de Mme Lebeau (conseillère municipale d’opposition) qui n’a pas laissé de m’interpeler sur la finalité de cette réunion et de cette présentation bien orchestrée : les logements pourront-ils être achetés et combien ?Après un temps de flottement, réponse de l’une des responsables : le prix n’est pas encore établi.
Autre question, est-ce que ces investissements pourront donner lieu à des défiscalisations ?
Pourrons-nous acheter un logement et le louer à nos parents ? Oui dans la limite où vos parents sont autonomes ; s’ils perdent leur autonomie, ils devront partir. Que devient alors l’appartement ?
Une personne, tout en témoignant des bienfaits de ce type d’habitat pour seniors, a déploré un choix de la municipalité pour un projet qui ne sera accessible qu’à une partie de la population ciblée laissant les autres de côté.
Un conseiller d’opposition, M. Malbreil est intervenu pour interroger sur le soi-disant aspect intergénérationnel de cette résidence, si loin de celui de la résidence réalisée par l’ancien maire M. Soula dans le quartier de Loumet.
Pendant toute la réunion, je me suis demandé quelles instances Mme la Maire avait-elle consultées ? Le club des aînés par exemple ? Avait-elle lancé une grande enquête ? Organisé des réunions de quartiers, des tables rondes avec ces grands spécialistes de la silver économie ?
Rien de tout cela.
Pourquoi Eiffage, quels étaient les autres investisseurs, pourquoi Ginkgos et pas un autre ?
Madame la Maire est vraiment passée à côté de réunions très intéressantes pour les habitants de Pamiers et des communes environnantes, sur comment bien vieillir en Ariège et à Pamiers quels que soient ses moyens, dans le respect et la dignité, ce qui aurait été un préalable à la co-construction…
Oui co-construire des politiques publiques par l’écoute des préoccupations de ceux qui sont concernés – nous sommes d’ailleurs tous concernés par le vieillissement – et mettre ainsi en œuvre un vrai parcours de prise en charge du vieillissement pour toute la population.
Cette réunion, démarche tardive, n’était-elle là que pour faire la promotion du projet devant une petite soixantaine de personnes dont la moitié d’avertis, l’autre en attente d’informations, conforter Eiffage sur l’attractivité économique du projet, montrer à l’opposition que tout est déjà ficelé ?
En tout état de choses, il reste beaucoup de questions et de zones d’ombre.
Espérenza Delavye
Crédit photo : placement de produit lors de la réunion